
Sans nul doute que le tollé d’indignation provoqué par Madani Mezrag laissera des traces tout au long des semaines à venir. C’est que la violence de ses propos et notamment les allusions qui les ponctuent sont suffisamment compromettantes pour que le pouvoir renonce à le défier à travers une riposte proportionnelle aux écarts diffamatoires. Or cet ex-«émir» de l’AIS, que seule la charte de 2005 a anobli, n’en est pas à sa première manifestation médiatique.
Depuis le milieu de l’été et le «concile des maquisards» qu’il tint dans une plage de Mostaganem, n’a-t-il pas eu de cesse de mener une campagne de propagande afin d’accréditer la thèse d’un retour légal du FIS dans la scène politique ? Arguant du fait que cette re-légalisation, qui lui est refusée jusque-là, est pourtant une des conditions-clés de l’accord secret sur une trêve en 1997-98, il accuse Bouteflika, qui aurait d’ailleurs endossé intégralement les termes de ce deal, de créer les conditions d’un autre casus belli propice à une nouvelle guerre civile ! Le signal est par conséquent très fort dans la mesure où il est destiné en priorité aux acteurs du premier cercle qui se sont crus à l’abri de la résurgence de l’islamisme armé. Un retour de l’histoire qui, par un effet de miroir, remet en scène ceux qui conduisirent les tractations secrètes et sont aujourd’hui supposés avoir fait de fausses promesses pour vendre au pays «une ère nouvelle et un pays apaisé». Voilà par conséquent cet effet de boomerang plusieurs fois détourné mais qui tétanise réellement un régime tout à fait affaibli. Après la tentative de Kebir de 2006-2007, puis de Benhadj et Layada (2009), Madani Mezrag reprend à son compte le combat pour le FIS. Même s’il semble privilégier la brutalité, il ne manque cependant pas de mémoire et d’habilité dans les arguments avancés. Et cela n’est pas peu de choses dès lors qu’en marge de son agitation médiatique, l’«émir» des monts de Jijel est considéré officiellement comme un interlocuteur essentiel sur les questions relatives à l’avenir des institutions ! Or du fait même que son avis compte actuellement, après avoir conféré avec Ouyahia ministre d’Etat et chef de cabinet du président de la République, il est tout à fait plausible de croire également qu’il est agréé pour conduire une campagne insolite au profit de la réhabilitation d’un courant en mesure de peser radicalement dans la doctrine qui irriguera la prochaine Constitution. En clair, il est naïf de croire que le pouvoir n’y soit pour rien dans l’excès d’assurance qu’il affiche dans ses propos. Autrement dit, son activisme qui fait peur à la plupart des strates de la société et aux élites politiques ne dérange nullement les réseaux préparant et se préparant à l’après-Bouteflika. Ils y voient la possibilité d’un deal originel qui changerait totalement la perspective du futur régime.
L’intérêt d’un tel pacte résidera alors dans une double légitimation. Pour ceux qui gouverneront, il s’agira d’élargir l’assise populaire de leur pouvoir tout en étant autonome des tutorats de l’armée et pour ces islamistes réhabilités ; redevenir la milice morale de la société. Une réciprocité d’intérêt encore inimaginable il y a à peine deux années et qui a fini par susciter de l’enthousiasme à la suite de son relatif succès en Turquie. C’est donc de ce modèle-là favorable à un libéralisme économique débridé et adossé à une valeur cultuelle antidote du concept de la laïcité que l’on parle souvent. Même le « nouveau patronat » se surprend à faire des clins d’œil à ces deux béquilles d’un Etat redevenu prospère. Autant admettre que les conditions actuelles se prêtent idéalement à cette aventureuse démarche. Et pour cause, l’on ne domestique pas une mouvance préconisant la prédominance des armes avec les mêmes procédés que des appareils politiques de salons dont la nocivité est inexistante. Mieux que quiconque, ceux qui travaillent à ce sujet pour l’Algérie savent donc parfaitement ce qu’il en coûtera de réorganiser la vie politique autour des débris fumant du FIS.
Quinze années après les préliminaires de la concorde puis dix ans après la promulgation de la charte amnistiante, l’Algérie est-elle, malgré cette double renonciation aux sanctions et aux châtiments, toujours contrainte de gérer avec prudence un FIS recomposé certes, mais dont les nouveaux leaders n’ont pas amendé la moindre ligne de son idéologie ? Alors que la dernière salve des menaces de Madani Mezrag remonte déjà à la semaine dernière, aucune réaction vigoureuse n’est venue démentir l’hypothèse de la connivence secrète que l’on vient d’imaginer.
Car enfin, si tout ce que l’«émir» en question a énoncé comme assertions peu déférentes à l’Etat ne mérite qu’indifférence alors qu’elles relèvent du pénal cela prouve tout simplement qu’il est en mission commandée ! Inquiétante probabilité au moment où se jouent simultanément plusieurs parties de poker menteur alors que l’Etat n’existe virtuellement qu’à travers les communiqués dans les JT du 20 heures.
B. H.